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Fake beauty, danger réel

Enquête réalisée par Asmaa Izouaouen et Lounja Bensmain

Au Maroc, le marché des cosmétiques et des produits d’hygiène croît de 15% chaque année, selon Maroc Export, un centre marocain de promotion des exportations

L’essor de ce marché répond à une tendance : les marocains sont de plus en plus soucieux de leur apparence, de leur hygiène et de leur bien-être. Vu la forte demande, une large gamme de maquillages, shampoings, huiles, masques de beauté, crèmes, parfums et démaquillants, inonde chaque jour le marché du pays, marché juteux estimé à 531 millions de dirhams par an, soit 9,35% du marché des produits de santé selon le registre des grossistes à fin août 2010. 

Mais ces produits ne sont pas dénués de dangers, car c’est surtout la commercialisation des cosmétiques contrefaits qui prend une ampleur gigantesque chaque année. Victimes de leur succès, les grandes marques sont copiées et recopiées.

Les produits de maquillage se multiplient à grande vitesse : il s’agit de produits importés de Chine, au prix anormalement bas et à la composition douteuse, emballés sous la photo (volée) d’un mannequin fétiche de l’Oréal ou d’une influenceuse célèbre comme HudaBeauty… Des packagings à la présentation mal-soignée : des promesses inscrites et une liste d’ingrédients (parfois absente malgré de strictes lois) pleines de fautes d’orthographes et de syntaxe. 

Omniprésente, cette camelote est étalée dans les parfumeries et les souks des grandes villes marocaines : les cosmétiques sont dans le top 5 des produits contrefaits au Maroc, selon l’Office marocain de la propriété industrielle et commerciale (OMPIC) qui a tiré plusieurs fois la sonnette d’alarme à ce sujet. 

Comment tous ces produits contrefaits atterrissent sur le sol marocain ? Pourquoi ce marché illégal prend-il une si grande ampleur ? Quel est son impact sur la santé des consommateurs ? Quel est son impact sur l’économie marocaine ?

Sur papier, il existe une loi pour réguler le marché des produits cosmétiques, que dit-elle ? Mais surtout… Est-elle appliquée dans la réalité ? 

Le marché informel casablancais

Au cœur de la capitale économique, dans les quartiers commerçants de Derb Omar, Derb Ghalef ou encore Garage Allal, les cosmétiques contrefaits font un tabac. 

Rouges à lèvres, fards à joues, palettes et highlighters sont éparpillés partout chez les parfumeurs, le passage est serré. Les consommatrices et  consommateurs sont presque immédiatement heurtés à l’entrée par toutes ces boites aux couleurs flashy signées HudaBeauty, Kylie Jenner, Naked, Victoria’s Secret et bien d’autres… Le prix est imbattable : en moyenne, entre  5 et 10 DH pour un rouge à lèvre, 20 à 40 DH pour une palette de fards à paupières et 15 à 30 DH pour une poudre bronzante, un fard à joue ou un illuminateur. 

 De la « poudne » pour le visage

Au Garage Allal, Ali propose une poudre de la marque Kylie Jenner, grande influenceuse et célébrité, à seulement 30 DH. A première vue et sans connaître le prix, le produit paraît authentique : c’est le même logo que l’original, et c’est « Made in USA ». Seulement, les fautes d’orthographes laissent croire que cette « Poudne »  avec un N, n’est pas authentique. 

Sur le site officiel de Kyliecosmetics, la poudre bronzante coûte 18$, la poudre libre 24$ et la poudre illuminatrice 20$.

A côté de la grosse pile signée Kylie se trouvent les produits de HudaBeauty, youtubeuse dont les photos sur les emballages décorent presque toutes les parfumeries des quartiers marchands. De cette marque, Ali propose le rouge à lèvres à 10 DH aux clientes, et à beaucoup moins aux revendeurs qui souhaitent acheter en gros : 5 DH la pièce, 60 DH pour 12 rouges à lèvres. 

Le parfumeur ne voit aucun mal dans ce qu’il fait et assure que sa marchandise est de bonne qualité : « Ce sont des produits authentiques et abordables, mes clientes en sont très satisfaites».

Cependant, les rouges à lèvres disponibles sur le site officiel Shophudabeauty sont à partir de 26$, et la plupart des palettes dont ont aperçoit les copies dans les magasins, sont en vente exclusive chez Sephora à un prix allant de 29 à 65$ selon la palette choisie.

La conscience du parfumeur

Des produits visiblement contrefaits ont été retrouvés dans 9 magasins casablancais sur les 10 parfumeries visitées.

Dans certaines parfumeries, les commerçants vendent exclusivement du faux, dans d’autres, produits contrefaits et produits authentiques aux prix plus élevé coexistent, les produits les moins chers étant posés un peu partout par terre, et les plus chers en sécurité, sous les yeux vigilants du parfumeur, derrière les vitres de la table devant laquelle il se tient. 

Said est le seul parfumeur qui avait fait le choix de ne pas vendre de produits contrefaits, parce qu’il faut « rehausser un peu le niveau ». Même s’il reconnaît que ces produits sont fortement demandés à cause du pouvoir d’achat limité des consommatrices, le parfumeur confirme qu’il a une bonne clientèle, en plus d’être « consciente ».  

Si Said fait l’effort de bien choisir ses produits, il faut reconnaître que même pour un professionnel, faire la différence entre la copie illicite d’un produit et le produit original n’est pas une mince affaire. En effet, ils peuvent porter les mêmes références, les mêmes codes barres, les mêmes appellations et le même packaging, que les vrais.

Quand les contrôles se durcissent, les commerçants protestent

Au niveau local, les opérations de contrôle sont soit planifiées, soit improvisées suite à des plaintes ou informations reçues sur des produits industriels. 

D’une manière générale, quand les représentants de grandes marques réussissent à convaincre les services de la douane de saisir les marchandises des commerçants de Derb Omar et de bloquer les importations, les commerçant font grève jusqu’à rétablissement de leurs activités. La dernière menace de grève date du mois de mai.

La  ville de  Casablanca compterait plus de 200 boutiques de cosmétiques non autorisées, selon un article du journal électronique « Libe ».

L’origine des cosmétiques contrefaits

Selon un ancien parfumeur, ces produits ont été introduits dans marché marocain à travers la contrebande et en l’absence de tout contrôle.

 Les fournisseurs iraient même jusqu’en Chine, dans la ville de Yiwu, considérée comme la capitale de la contrefaçon. Environ 200 000 distributeurs y achètent chaque jour jusqu’à 2 000 tonnes de produits au marché noir de gros de la ville. Yiwu est la deuxième ville préférée des commerçants arabes après Guangzhou, au sud de la Chine, l’une des plus importantes destinations commerciales et touristiques du  pays, qui abrite elle aussi un énorme marché noir de gros. 

L’impact sur l’économie

La perte fiscale liée à la contrefaçon des cosmétiques varie entre 200 et 400 millions de DH, selon une étude menée par l’Office Marocain de la propriété industrielle et commerciale (OMPIC) en 2012.

Suite à des plaintes d’Unilever, des saisies d’une valeur de plus de 5,5 millions de DH ont été opérées et 5 entrepôts clandestins fabricant des produits tels que OMO ou encore de la Vaseline ont été fermés à Casablanca au mois de juin 2017. 

Pour rappel, Unilever possède plus de 400 marques dont Dove, Sunsilk, Fair&Lovely, Vaseline, AXE, Pond’s… 

Réactions allergiques, infections… Les yeux sont les plus vulnérables

De nombreuses études ont révélé que les produits bas de gammes contenaient une grosse quantité de métaux lourds dangereux comme le plomb, du poison comme de l’arsenic, de l’urine, du sang et des excréments d’animaux et d’humains. 

1 074 cas d’intoxications par des produits cosmétiques entre 1980 et 2010 ont été enregistrés par Le Centre marocain antipoison (CAPM). 

Samia, jeune étudiante en droit, a une fois opté pour du maquillage pas cher. Elle a acheté un fond de teint d’une marque dont elle n’a jamais entendu parler à seulement 20 DH chez un parfumeur. Le lendemain matin, elle a une mauvaise surprise devant son miroir: « Au réveil, j’avais des grosses bulles sur le visages, des cloques de liquide sur ma peau. J’ai très vite consulté mon dermatologue pour calmer la réaction causée par le fond de teint». 

Après  cette mauvaise expérience, Samia est devenue plus consciente de ses choix et accepte de dépenser davantage pour des produits si elle sait que cela lui assure une meilleure qualité.

Selon la dermatologue Asmaa Koufane, les cosmétiques les plus dangereux sont ceux utilisés pour les yeux : eyeliner, khôl, mascaras et crèmes pour le contour… Des produits contaminés et de mauvaise qualité peuvent provoquer une chute des cils et une infection chronique des yeux dont la bactérie responsable peut rendre aveugle, c’est un dangereux micro-organisme hautement résistant aux antibiotiques appelé «  pseudomonas aeruginosa », il peut se développer dans le mascara, considérée comme une ferme microbienne pour ce genre de bactérie, raison pour laquelle il est conseillé de ne pas utiliser un mascara plus de 3 mois après son ouverture. 

Malheureusement, la plupart des femmes continuent à utiliser leur maquillage après la date d’expiration : une étude brésilienne a montré que 97.9% des femmes ont admis utiliser du maquillage expiré. 

Les cosmétiques contrefaits disponibles aussi en ligne

Comme dans les parfumeries, palettes et rouges à lèvres signés Kylie Jenner et Fenty Beauty se sont multipliés sur internet. Disponibles dans la boutique en ligne Jumia, il est impossible de déterminer l’authenticité de ces produits, sauf dans le cas flagrant du pinceau ovale signé Kylie pour appliquer du fond de teint à 15 DH.

Aux Etats-Unis, les réseaux sociaux contribuent à plus de 50% des ventes de cosmétiques au noir. Une récente étude de Red Points, une société de protection des marques, a révélé que Facebook est à l’origine de 41,1%  des affaires de contrefaçon, alors qu’Instagram est à l’origine de 9%. Une très mauvaise tendance dont le Maroc n’est pas loin si la situation actuelle ne change pas.

Ce que dit la loi

En 2000, le Ministère de la santé s’était déclaré «incompétent juridiquement» pour réaliser des contrôles de salubrité sur les produits non médicamenteux importés au Maroc, selon un article de l’Economiste. Le droit marocain ne reconnaissait pas le mot « cosmétique». Pour pouvoir importer un produit cosmétique, il fallait obtenir «un certificat de négativité » délivré par le Ministère de la Santé Publique, attestant simplement que le produit n’est pas un médicament. 

C’est seulement 12 ans plus tard que le Ministère de la Santé à obligé les fabricants et importateurs à enregistrer leurs produits cosmétiques avant toute commercialisation dans le pays. Ils doivent présenter plusieurs documents obligatoires à la Direction du Médicament et de la Pharmacie (DMP).

Le certificat d’enregistrement, valable pour une durée de 5 ans renouvelable, est retiré par le ministère de la santé dans deux cas : à la demande de l’établissement titulaire et lorsqu’il s’avère que le produit cosmétique présente un défaut lié à sa qualité, sa sécurité ou son efficacité. 

A travers une circulaire, le ministre de la santé a fait part des restrictions concernant certaines substances qui sont interdites et d’autres faisant l’objet de restrictions. Ce sont les substances énumérées dans les annexes II à VI du Règlement européen 1223/2009 du 30 novembre 2009. 

Le Direction du Médicament et de la Pharmacie du ministère de la Santé a publié le 1er avril 2019 une note d’information détaillant la nouvelle procédure d’importation des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle.

Si nous avons enfin une loi concernant la déclaration, l’enregistrement et l’importation des cosmétiques au Maroc, elle met du temps à être appliquée sur le terrain et le marché national des cosmétiques continue de ressembler à une véritable jungle.