ActualitéSociété

Réforme de la Moudawana : dernière chance pour endiguer la violences faites aux femmes

La réforme du Code de la famille entame son troisième mois et le gouvernement poursuit ses concertations avec les parties concernées. L’occasion de revenir sur les différentes mesures à prendre pour endiguer la violence faites aux femmes. 

Rédigé par : Sanaa Saidi & Gail Ricinelle

Le 3 octobre 2023, les élus de la Nation ont organisé une journée d’étude à la Chambre des Représentants pour décortiquer les conditions et circonstances de mise en application de la Loi N°103.13 relative à la lutte contre les violences faites aux femmes. Une initiative qui intervient quelques semaines après les orientations Royales au gouvernement, l’appelant à accélérer la cadence de la réforme de la Moudawana. Si aujourd’hui, les consultations du comité de pilotage de cette dernière vont bon train, les Parlementaires ont voulu ajouter leur pierre à l’édifice, en proposant des mécanismes permettant de faire barrage à la violence faite aux femmes qui poursuit sa courbe ascendante, et ce, malgré les milles et une initiatives lancées par les pouvoirs publics et la société civile durant les deux dernières décennies.

Car oui, aujourd’hui, plus de 62% des femmes affirment avoir déjà subies des violences physiques, psychologiques, sexuelles ou économiques, parmi elles 55% déclarent avoir subi des violences conjugales et 13,5% des violences familiales. Un état des lieux qui témoigne des carences et de la fragilité du système judiciaire marocain et qui pose avec acuité la nécessité d’une refonte tous azimuts et structurelle du code pénal. 

“Depuis la moudawana de 2004, des efforts louables ont été déployés en vue de contrer la violence à l’égard des femmes, néanmoins, la réalité sur le terrain montre que ces derniers peinent à atteindre les effets escomptés”, déclare Nouzha Skalli, ex-ministre de la Famille,  notant que ce phénomène rencontre plusieurs entraves législatives, culturelles et institutionnelles. Dans ce sillage, cette défenseuse acharnée des droits de la femme, souligne l’impératif d’abroger les dispositions discriminatoires, tout en instant que “la nouvelle réforme doit répondre aux défis actuels de la société marocaine, du fait qu’il existe encore des situations ou les droits des femmes victimes de violence conjugales ne sont pas garantis”. 

« Lorsque nous parlons des violences, nous parlons de violences également juridiques, et donc la polygamie, le mariage subi par les filles, l’inégalité dans la tutelle »

Oumaïma Jmad

Code pénal en top priorité 

L’exemple le plus saillant est celui des femmes victimes de viols, dont seules 3% portent plainte, car pour avoir gain de cause il faut prouver qu’il s’agissait d’un viol et non d’une relation consensuelle, sachant que cette dernière implique la prison ferme selon l’article 490-491 du Code pénal. Un constat conformé par le Conseil Economique Social et Environnemental (CESE), qui dans son dernier rapport dédié à la thématique avait épinglé “l’absence d’adaptation de la charge de la preuve au contexte de la violence à l’égard des femmes. Il est particulièrement difficile de prouver un viol conjugal ou le harcèlement sexuel, ce qui a un effet dissuasif sur les victimes dans leur démarche de dépôt de plainte”. Ceci alors que plusieurs législations étrangères, par exemple, inversent la charge de la preuve dès lors que la plaignante a présenté des faits pouvant laisser présumer un harcèlement sexuel. A cela s’ajoute l’absence de définition de concepts clés tels que la discrimination à l’égard des femmes, la violence fondée sur le genre, les pratiques nuisibles, l’exploitation économique…Et la liste n’est pas exhaustive. Un manquement qui laisse un large pouvoir discrétionnaire aux chargés de l’application de la loi dans un contexte sociétal fortement imprégné d’une culture « patriarcale ». 

« Une sensibilisation et une éducation du public sont essentielles pour changer les attitudes »

Oumaïma Jmad

Autre lacune saillante, le retrait de la plainte qui entraine automatiquement l’abandon des poursuites des auteurs de la violence. Un paramètre qui favorise une situation d’impunité et qui consolide la croyance sociale pronant que la violence, plus particulièrement dans le contexte conjugal, « est une affaire privée qui concerne exclusivement le ménage ». 

En effet, sur le volet législatif, plusieurs textes du Code pénal laisse des voies de recours aux mis en cause, notamment sur la question des preuves. Le Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH) a présenté, dans ce sens un rapport sur la dénonciation de la violence faite aux femmes et aux filles et la lutte contre l’impunité, dans lequelle il appelle à une apporter plus de précisions aux notions des crimes de viol, de harcèlement sexuel et de discrimination. A cela s’ajoute l’intégration des dispositions procédurales qui tiennent compte de la dimension du genre.

Afin d’assurer la réussite de ces mesures des cellules de prise en charge des femmes victimes de violences réactives doivent être renforcer au sein des tribunaux de première instance et les Cours d’appel. Les services centraux et déconcentrés des secteurs de la santé, de la jeunesse et de la femme, ainsi qu’à la Direction Générale de la Sûreté Nationale et au Haut Commandement de la Gendarmerie Royale devraient également avoir des cellules dans ce sens à même de prendre en charge les victimes de manière imminente.

3 questions à Oumaïma Jmad, doctorante chercheuse en socio-anthropologie, membre du bureau de l’association marocaine pour les droits des femmes. 

  • En se basant sur votre expérience au sein de l’AMDF, quels sont les facteurs qui sous-tendent la violence envers les femmes ?
  • L’AMDF s’est engagée dans une lutte acharnée contre les violences faites aux femmes et aux filles depuis ses premières activités en 1992. Depuis, les membres de l’association travaillent étroitement avec les femmes victimes et survivantes des violences, à travers le centre d’écoute Fama, et actuellement à travers le centre d’écoute Habiba Zahi. Parallèlement, nous menons des campagnes de plaidoyer et mettons en place des programmes de sensibilisation et de formations visant à prévenir et à combattre les violences basées sur le genre. Notre engagement dans cette lutte découle de notre conscience que les violences faites aux femmes puisent leurs racines dans les fondements des sociétés patriarcales, dans les inégalités de genre, dans les normes sociales et culturelles discriminatoires, ainsi que dans les lacunes du cadre juridique destiné à protéger et à promouvoir les droits des femmes. C’est pourquoi nous sommes actuellement impliquées dans des initiatives visant à réformer la Moudawana, une réforme qui figure depuis longtemps parmi les revendications du mouvement féministe.

  • Comment la réforme de la Moudawana pourra-t-elle éradiquer ce phénomène ?
  • La réforme de la Moudawana peut réduire les violences faites aux femmes et aux filles. Lorsque nous parlons des violences, nous parlons de violences également juridiques, et donc la polygamie, le mariage subi par les filles, l’inégalité dans la tutelle…La Moudawana devrait constituer un cadre légal qui protège les droits des femmes en matière de mariage, de divorce, de garde d’enfants et d’héritage, et non l’inverse. En somme, une Moudawana réformée qui prend en considération les revendications des associations de défense des droits des femmes, peut constituer un cadre juridique solide pour promouvoir l’égalité de genre, et protéger les droits des femmes, contribuant ainsi à la prévention et à la lutte contre les violences.

  • Quelle est à votre avis l’approche nécessaire et la plus efficace pour introduire les nouvelles dispositions contre ce type de violence ?
  • Pour introduire efficacement de nouvelles dispositions contre les violences à l’encontre des femmes, il faut impliquer les différentes parties prenantes, les différentes actrices et acteurs, des expert.es, des représentant.e.s des organisations de défense des droits des femmes et surtout, il faut prendre en compte les personnes concernées, à savoir les survivantes de violences. De plus, une sensibilisation et une éducation du public sont essentielles pour changer les attitudes, tandis que la formation des professionnels du secteur juridique est cruciale pour une application adéquate des lois. Il faut des services de prise en charge des victimes/survivantes, remédier à l’impunité des auteurs de violences, etc. Il faut également mettre à la disposition de la société civile les informations nécessaires pour évaluer l’efficacité des mesures mises en place et intervenir pour leur amélioration. En somme, il faut une combinaison des mesures législatives, des efforts de sensibilisation, de soutien aux victimes et aux survivantes, des formations et un engagement collectif pour pouvoir lutter contre la violence basée sur le genre.